L’histoire de mes questionnements vers une alimentation éthique, ou comment je me suis égarer en mangeant

Nature morte aux fruits (circa 1603), Caravaggio

Cet article est une traduction de l’article « My struggles with ethical eating: How I lost my way with food » qui a été publié pour la première fois sur le site de RePlanet le 14 octobre 2022. Retrouvez la version originale en anglais ici.

Quand Simon Friederich a cessé de manger de la viande, il n’a pas cessé de se poser des questions : pouvons-nous vraiment éviter la souffrance des animaux lorsque nous arrêtons de produire de la viande et des produits laitiers, puis réensauvager leurs pâturages ?

Ma femme Andrea est végétarienne depuis l’enfance, pour la simple raison qu’elle trouvait la viande dégoûtante. Elle essayait parfois de me convertir au végétarisme. Elle n’avait aucun scrupule à jouer la carte de l’éthique, et elle se comportait parfois comme si elle était un gentil petit cochon qui se blottissait contre moi et me disait doucement : « L’abattage, c’est ce que tu prépares ? ».

Je suppose que c’est à cette époque que j’ai commencé à me poser des questions sur la consommation de viande.

J’avais une vingtaine d’années et j’ai suivi un cours d’éthique à l’Université de Göttingen. L’un des sujets étant l’éthique animale, j’ai saisi l’opportunité de lire une partie de la littérature académique à ce sujet. Convaincu par les éthiciens animaliers que j’ai découverts grâce à ce cours, je suis devenu végétarien.

Les repas pour Andrea et moi sont devenus beaucoup plus simples. Cependant, les choses sont devenues un peu plus gênantes socialement : j’ai agacé mes amis et mes parents en affirmant que notre traitement des animaux est une honte totale et une gêne, et qu’ils étaient aussi responsables.

Ces mots-là ne leur ont pas plu.

Mais ma maladresse sociale a persisté. Certains d’entre vous qui lisent ces lignes sont également végétariens. Ceux d’entre vous qui le sont, auront été confrontés à des questions majeures à ce sujet – des questions posées par d’autres (et pas seulement des mangeurs de viande) et des questions que vous vous serez posées vous-mêmes.

J’ai agacé mes amis et mes parents en affirmant que notre traitement des animaux est une honte totale et une gêne, et qu’ils étaient aussi responsables

Dans les années qui ont suivi mon passage au régime végétarien, les questions auxquelles j’ai eu le plus de mal à répondre étaient celles qui me reprochaient implicitement de ne pas être assez radical. J’ai découvert que le végétarisme simple (incluant les produits laitiers entre autres)n’avait pas vraiment de sens. Pour que les vaches produisent du lait d’une manière économiquement sensée, elles doivent vêler assez souvent. Les mignons petits veaux leur sont enlevés peu de temps après leur naissance et abattus ou confinés dans des caisses à veaux, à moins qu’ils n’aient la « chance » de devenir eux-mêmes des vaches laitières. Les vaches sont abattues après quelques cycles de lactation, moment auquel elles ne sont plus économiquement utiles.

Une histoire similaire peut être racontée à propos des poulets.

Et donc, j’en suis venu à la conclusion que la seule façon cohérente d’être végétarien est d’être végétalien : c’est à dire ne  consommer aucun produit animal. Les questions que je me suis alors posées étaient : Est-ce la bonne chose à faire pour moi ? Dois-je devenir végétalien ?

Peut-être avez-vous vous-même essayé le végétalisme. J’ai essayé quelques jours, mais j’ai trouvé cela difficile. Par exemple, j’aimais toujours beaucoup le fromage et j’avais beaucoup de mal à y résister. J’avais aussi en tête qu’en manger ne serait pas si injuste. Après tout, beaucoup de gens autour de moi mangeaient encore de la viande, y compris des saucisses de porcs élevés dans des conditions épouvantables. Et là, étais-je censé renoncer à ma fondue au fromage et à mes Käsespätzle ? Faire ce qui est éthique, c’est bien, pensai-je, mais pas si le prix est si élevé !

Mais ce n’est pas ainsi que cette histoire se termine. Il y a quelques années, je suis tombé sur deux philosophies intéressantes qui m’ont impressionné à plusieurs égards. L’un d’eux est l’altruisme efficace. Les altruistes efficaces veulent se comporter d’une manière qui permette d’apporter le plus d’aide aux gens. Alors ils posent cette question d’une simplicité trompeuse : « Comment pouvons-nous faire le plus de bien avec les ressources dont nous disposons ? » L’une de leurs découvertes, c’est que faire un don pour des moustiquaires antipaludiques pour les personnes en Afrique est assez efficace pour sauver des vies, avec un bon rapport qualité-prix.

J’ai trouvé le végétalisme difficilé. Etais-je censé renoncer à ma fondue au fromage et à mes Käsespätzle ?

Du point de vue de l’altruisme effectif, la question pertinente sur la façon dont nous traitons les animaux se pose : comment pouvons-nous améliorer au mieux le bien-être des animaux, compte tenu des ressources dont nous disposons ? En matière de végétalisme, les questions à se poser portent sur son efficacité : est-ce que devenir végétalien est un moyen efficace d’aider les animaux ? Essayer de convaincre vos amis de devenir végétaliens est-il efficace ?

À ce stade, et avant de répondre à ces questions, j’en viens au deuxième type de philosophie qui a influencé de nombreuses personnes affiliées à RePlanet : l’écomodernisme. Les écomodernistes pensent que nous devons investir dans le progrès technologique pour résoudre les problèmes environnementaux. L’idée est que si les gens ont tous leurs besoins fondamentaux couverts, ils seront alors mieux placés pour protéger l’environnement et le feront spontanément. Alors que certains écologistes traditionnels reprochent aux écomodernistes d’accepter le désir des gens d’une vie moderne, il existe en fait un bon accord entre les écomodernistes et les écologistes en ce qui concerne les animaux élevés pour la nourriture.

Appliquée à la question des animaux et de la viande, une stratégie qui intéresse à la fois les écomodernistes et les écologistes traditionnels ainsi que les altruistes efficaces consiste à soutenir de délicieux aliments qui ne sont pas à base d’animaux mais qui peuvent remplacer les produits à base d’animaux, des choses comme « Quorn », ou les produits de « Vegetarian Boucher » fabriqués aux Pays-Bas, et peut-être pas si loin dans le futur de la vraie viande cultivée en dehors des animaux via l’agriculture cellulaire en laboratoire.

Les altruistes efficaces s’accordent à dire que rendre ces produits moins chers que les produits d’origine animale est probablement très efficace, peut-être plus que les consommateurs qui décident de devenir végétaliens (bien que cela reste une bonne idée). L’idée est qu’une fois que ces produits seront moins chers que ceux fabriqués à partir d’animaux, les gens achèteront les produits de remplacement. Même les personnes qui ne sont pas intéressées par les considérations éthiques mangeraient moins de viande car les alternatives seraient au moins aussi bonnes – et moins chères.

Est-ce que devenir végétalien est un moyen efficace d’aider les animaux ? Essayer de convaincre vos amis de devenir végétaliens est-il efficace ?

À ce stade, et avant de répondre à ces questions, j’en viens au deuxième type de philosophie qui a influencé de nombreuses personnes affiliées à RePlanet : l’écomodernisme. Les écomodernistes pensent que nous devons investir dans le progrès technologique pour résoudre les problèmes environnementaux. L’idée est que si les gens ont tous leurs besoins fondamentaux couverts, ils seront alors mieux placés pour protéger l’environnement et le feront spontanément. Alors que certains écologistes traditionnels reprochent aux écomodernistes d’accepter le désir des gens d’une vie moderne, il existe en fait un bon accord entre les écomodernistes et les écologistes en ce qui concerne les animaux élevés pour la nourriture.

Appliquée à la question des animaux et de la viande, une stratégie qui intéresse à la fois les écomodernistes et les écologistes traditionnels ainsi que les altruistes efficaces consiste à soutenir de délicieux aliments qui ne sont pas à base d’animaux mais qui peuvent remplacer les produits à base d’animaux, des choses comme « Quorn », ou les produits de « Vegetarian Boucher » fabriqués aux Pays-Bas, et peut-être pas si loin dans le futur de la vraie viande cultivée en dehors des animaux via l’agriculture cellulaire en laboratoire.

Les altruistes efficaces s’accordent à dire que rendre ces produits moins chers que les produits d’origine animale est probablement très efficace, peut-être plus que les consommateurs qui décident de devenir végétaliens (bien que cela reste une bonne idée). L’idée est qu’une fois que ces produits seront moins chers que ceux fabriqués à partir d’animaux, les gens achèteront les produits de remplacement. Même les personnes qui ne sont pas intéressées par les considérations éthiques mangeraient moins de viande car les alternatives seraient au moins aussi bonnes – et moins chères.

Cela me parait génial. Plus les gens achètent ces produits –  et aussi les soutiennent publiquement – plus cela fera baisser les prix, donc cela aidera indirectement les animaux. Selon moi, manger de délicieux substituts de viande est une façon bien plus amusante de faire le bien que de devenir végétalien à plein temps.

Un autre avantage de ces produits de remplacement est qu’ils peuvent également contribuer à résoudre deux autres problèmes : la crise climatique et la perte de biodiversité. Les émissions provenant de l’agriculture animale sont parmi les principaux moteurs du réchauffement climatique. L’utilisation des terres requises par l’élevage est énorme. Ma vision romantique – et intuitivement elle me plait toujours – est qu’en réduisant considérablement l’élevage, nous pourrons restaurer toutes sortes de paysages sauvages et pittoresques, et laisser à nos enfants beaucoup plus de nature sauvage que celle que nous avons héritée de nos parents.

Mais cette vision pleine d’espoir n’est pas non plus la fin de mon histoire. En effet, ma conviction d’avoir enfin trouvé la bonne réponse à tous les problèmes liés aux animaux et à l’alimentation a pris un sérieux coup lorsque, stimulé par quelques penseurs peu orthodoxes, j’ai commencé à me poser des questions sur les animaux sauvages : des animaux qui n’appartiennent à aucun humain, qu’ils vivent dans la nature, en ville ou ailleurs. Je me suis demandé : « Est-il vraiment si évident que les animaux vivant dans la nature sauvage que j’aimerais restaurer seraient plus heureux que les animaux des fermes d’aujourd’hui ? ».

J’ai trouvé qu’il est étonnamment difficile de répondre à cette question.

On pourrait penser qu’il est évident que les animaux sauvages ont une vie meilleure que les animaux d’élevage : ils peuvent aller où ils veulent, ils ont de l’espace et ils ne sont pas abattus. Mais ce n’est pas là tout l’histoire ; la plupart des animaux sauvages meurent prématurément, généralement de faim ou de parasites, ou en devenant la proie d’un autre animal. Cela peut être long et douloureux.

Par exemple, les lions ont tendance à tuer leurs proies en les étouffant, une mort qui peut durer plusieurs minutes. Les goélands picorent parfois les yeux des adorables bébés phoques. Les petits meurent alors de faim et les goélands se nourrissent de leurs cadavres. Je me suis demandé : est-ce vraiment mieux que ce qui arrive aux animaux d’élevage ?

Est-il vraiment si évident que les animaux vivant dans la nature sauvage seraient plus heureux que les animaux des fermes d’aujourd’hui ? La plupart des animaux sauvages meurent prématurément, généralement de faim ou de parasites.

Les choses sont devenues encore plus perplexes lorsque j’ai commencé à me demander quels animaux étaient les animaux les plus heureux dans l’ensemble. Je n’ai pas d’idée précise, mais je suppose que les vaches et les moutons en liberté ont une vie plutôt agréable par rapport à de nombreux animaux sauvages. Alors peut-être que je ne devrais pas tant soutenir les produits de remplacement de la viande mais plutôt revenir à manger de la viande tout en me concentrant sur le bœuf ou l’agneau bio ?

Mais cette idée pose également un gros problème : les bovins et les ovins en liberté ont besoin de terres relativement importantes et ils libèrent du méthane, un gaz à effet de serre bien pire que le CO2. Dans l’ensemble, comme George Monbiot l’a soutenu récemment, ce sont peut-être les animaux dont l’empreinte environnementale est la plus dévastatrice !

Pour l’instant, c’est la fin de mon histoire sur les animaux et la nourriture. Après avoir réfléchi à ces sujets pendant vingt ans, je suis probablement devenu plus sage, au moins un peu – mais j’ai un peu perdu pieds. Bien que je pense toujours que soutenir les produits à base de végétaux au lieu de ceux à base d’animaux est une excellente idée, je ne sais vraiment pas ce qui est le mieux.

Mon questionnement m’a aidé à démolir certaines idées simplistes, mais à ce stade, il ne m’a pas donné une vision nouvelle et globale. Si vous pensez avoir une telle vision et qu’elle répond à mes préoccupations, merci de me contacter : email@simonfriederich.eu.

Source : Pixabay

Pour l’instant, c’est la fin de mon histoire sur les animaux et la nourriture. Après avoir réfléchi à ces sujets pendant vingt ans, je suis probablement devenu plus sage, au moins un peu – mais j’ai un peu perdu pieds. Bien que je pense toujours que soutenir les produits à base de végétaux au lieu de ceux à base d’animaux est une excellente idée, je ne sais vraiment pas ce qui est le mieux.

Mon questionnement m’a aidé à démolir certaines idées simplistes, mais à ce stade, il ne m’a pas donné une vision nouvelle et globale. Si vous pensez avoir une telle vision et qu’elle répond à mes préoccupations, merci de me contacter : email@simonfriederich.eu.

Simon Friederich est professeur associé de philosophie des sciences à l’Université de Groningue, aux Pays-Bas. Il est également membre du conseil consultatif de RePlanet et président de RePlanet D-A-CH.