Le tout premier webinaire de RePlanet France – Les Ecohumanistes – le 3 mai 2022– a été l’occasion de présenter les activités de l’association et de lancer une série de séminaires « Science et Société« . Pour l’occasion, notre délégué en charge de cette thématique, Dr. Leonardo Orlando, a choisi d’orienter sa présentation sur cette interrogation : « Le progrès humain, meilleur allié de la planète ? ». Une préoccupation au cœur des réflexions écohumanistes !
Alors, comment mesurer le progrès humain ?
Le déclin de la violence : une des preuves du progrès
Afin de tenter de trouver une réponse à cette question, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Steven Pinker, psychologue cognitiviste et professeur à Harvard. Dans ses recherches, Pinker s’est intéressé à la mesure de la violence dans l’histoire humaine. Il constate une tendance globale à la baisse de la violence avec plusieurs déclins marqués au cours de l’histoire. Afin d’expliquer ces phénomènes, il étudie d’une part les raisons qui poussent à la violence ou à la coopération d’un point de vue évolutif (au niveau des fonctionnes cognitives), et d’autre part les évolutions qui ont lieu parallèlement à ces transformations dans l’environnement humain (institutions, rapports sociaux et politiques). Ainsi, la propagation des valeurs des Lumières (raison, science, valeurs humanistes) a par exemple contribué au déclin de la violence humaine au cours des derniers siècles. Le déclin de la violence n’est pas le seul marqueur du progrès humain, d’autres indicateurs existent, tels que la pauvreté ou l’accès aux droits élargi aux minorités sociales.
Alors que ces différents indicateurs montrent clairement une amélioration de l’humanité au cours de son histoire, les discours d’effondrement se multiplient. Comment expliquer cette anxiété ? La notion de biais cognitif peut-être un élément de réponse.
L’heuristique de disponibilité et le biais cognitif
Daniel Kahneman, psychologue et lauréat du Prix Nobel d’économie, et Amos Tversky, psychologue cognitiviste, ont montré que nos décisions se basent sur ce qui est le plus facilement accessible dans notre mémoire. Ce mécanisme est connu comme l’heuristique de disponibilité. Pour analyser une situation, nous nous basons donc sur nos souvenirs les plus récents. Or, ceci peut dériver en un biais de disponibilité et fausser notre jugement. Les informations et les médias nous baignent dans une ambiance négative qui nous incite à penser que tout va mal.
C’est pourquoi il est important de contrer la narrative négative présente dans les médias sur l’avenir de l’humanité.
Comment résister au biais cognitif ?
Selon Steven Pinker, c’est simple : il faut se concentrer sur des évaluations chiffrées et garder une attitude rationnelle à la réalité. Une démarche qui peut sembler froide a priori mais qui est en fait profondément humaniste puisqu’elle consiste à accorder la même valeur à tous les êtres humains peu importe leurs croyances, caractéristiques physiques ou activité professionnelle.
Néanmoins, avertit Pinker, il faut faire attention à la « progressophobie » – un phénomène déjà ancien incarné par des prophètes de l’effondrement tels que Michel Foucault, Martin Heidegger, Herbert Marcuse.
Quelles sont les raisons derrière ce fatalisme ?
1) Il y a tout d’abord un aspect idéologique relevant du romantisme avec une forme d’idéalisation de la « nature » en opposition à la technologie et aux avancées de la science.
2) Ensuite, il y a un aspect cognitif lié à la nostalgie. Notre cerveau a tendance à idéaliser le passé et faire oublier les mauvais moments. Cela nous pousse à la nostalgie et à une envie de « retour en arrière ».
Dans l’histoire de nombreuses prophéties négatives n’ont jamais vu le jour. Par exemple, dans les années 1970 le monde craignait la guerre sur l’europium, une terre rare utilisée dans les tubes cathodiques des télévisions couleur de l’époque. Mais, la recherche a abouti à la découverte des écrans LCD qui ont substitué la technologie précédente qui requérait de l’europium.
Ces prophéties apocalyptiques continuent de voir le jour malgré le progrès visible de l’histoire car nous sommes enclins à assumer que les choses continueront toujours à être comme elles sont aujourd’hui. David Deutsch, physicien et professeur à Oxford, propose d’imaginer que toutes les prédictions environnementales d’aujourd’hui aient été faites au début du XXe siècle. La société au début du XXe siècle n’aurait pas pu prendre en compte l’énergie nucléaire et ses bénéfices pour l’environnement car la radioactivité n’a pas été découverte avant 1896.
Le danger du déni de la science
Ainsi, ces différents biais cognitifs (biais de confirmation et d’auto-confirmation) induisent un phénomène de déni de la science dont personne n’est libre, et qui se retrouve tout au long du spectre politique.
Le déni de la science devient un problème majeur à l’ère des réseaux sociaux et des phénomènes de polarisation de la société, accentuant le déséquilibre entre optimise et pessimisme envers l’avenir. Il faut donc garder un certain recul, le progrès humain n’est pas linéaire. Il est naturel que dans l’histoire il y ait des périodes que l’on juge plus positives et d’autres plus négatives.
Gardons en tête, comme l’indique Voltaire dans Candide que les êtres humains ont le pouvoir de changer leur propre destinée.
Il n’y a que 10 000 ans que l’homme a domestiqué les animaux et inventé l’agriculture ! David Deutsch voit dans cette capacité humaine à « cultiver son jardin » un principe infini : le progrès n’est pas constant, il sert à trouver des solutions aux problèmes qui nous arrivent au fil du temps. Chaque fois que l’on trouve une solution, de nouveaux problèmes se présentent. Alors le progrès humain permet de faire face aux nouveaux problèmes à travers la raison, la science, et l’humanisme.
L’histoire elle-même démontre que les prophètes de l’effondrement avaient tort. Son étude attentive permet de sortir des biais de négativité et de constater la réalité de l’amélioration de notre monde. Le progrès humain apparaît ainsi comme une réalité n’ayant pas de limite.